Image : Iris Apfel, mannequin de 90 ans égérie de la campagne MAC cosmetique pour l’hiver 2011
Dans cet article nous proposons d’interroger l’image de la vieillesse et du vieillissement en prêtant une attention plus particulière à la participation des médias dans ces représentations en mutation. Pour Jean Foucart (2003) la vieillesse n’est rien d’autre qu’un construit social, comme le dit Pierre Bourdieu (1984) « On est toujours le vieux ou le jeune de quelqu’un», c’est aussi une construction historique et culturelle. Ainsi, ces transformations méritent d’être restituer dans leurs contexte social et historique pour être compréhensibles.
L’amélioration du niveau de vie, l’augmentation de l’espérance de vie ainsi que la considération par les politiques d’un état du vieillir (à savoir le vieillissement), ont contribué au cours de la seconde moitié du XXème siècle à transformer l’image collective et la place des personnes âgées dans notre société. Avec l’instauration du droit à la retraite, la personne âgée obtient un nouveau statut, une place dans la société à laquelle elle n’avait pas accès auparavant. Cette relation à aboutit à la formation d’un ensemble d’interventions et de politiques publiques « structurant, de manière explicite ou implicite, les rapports entre vieillesse et société » (Guillemard 1986, p: 22). En effet, le droit à la retraite bien qu’il améliore les conditions de vie, contribue cependant à la construction sociale de leur dépendance économique (Walker 2015) et à la construction du stéréotype de l’âgé pauvre et fragile (Townsend 1981; Binstock et Post 1991; Hudson et Gonyea 2012).
A partir des années 1960 jusqu’en 1975, la politique publique laisse de côté une approche économique de la question des personnes âgées pour une vision plus large de (ré)insertion sociale. La retraite devient synonyme d’activité, elle est plus dynamique, les classes moyennes vont s’investir dans le tissu associatif local. Ainsi, on distingue progressivement les “jeunes vieux”, les “seniors”,le “3ème ages” (60-75 ans ) et les “vieux vieux”, le “4ème âge” (75 et +).
On constate encore aujourd’hui l’héritage de cette distinction. Il est progressivement apparu deux façons de se représenter ce qu’est d’être âgé, en grossissant le trait nous pourrions dire qu’il y d’un côté le retraité dynamique et de l’autre la personne âgée dépendante.
Si le temps de la retraite est associé à l’épanouissement et qu’il devient “désirable”, car il correspond désormais à une nouvelle étape de la vie où il est possible de profiter et de réaliser ce qui n’a put être réalisé précédemment, (Vincent Caradec, 2009); il est aussi perçu comme un risque pouvant conduire à la perte d’autonomie et à la dépendance. Le vieillissement est aujourd’hui pensé comme “un processus de développement” (Cécile Collinet; Matthieu Delalandre, 2014) et, en tant que tel, ses différents tenants et aboutissants peuvent être anticipés au sein de démarches de prévention ou de promotion de la santé. C’est dans cette dynamique de prévention que l’on a vu se développer l’idée d’un “Bien vieillir”. Ce dernier devient une priorité aux enjeux sociaux et économiques importants.
Compte tenu de l’évolution permanente de nos représentations et de ces deux façons de se représenter la vieillesse, nous pouvons nous interroger sur l’image qui nous est aujourd’hui renvoyée de la vieillesse par les médias, si l’on considère, qu’ils participent, entre autres, à la construction de nos représentations. En effet “Parmi les modes d’expression du discours public s’inscrit sans contredit celui des médias qui participe ainsi à cette construction sociale de la « vieillesse » ainsi qu’aux représentations collectives entourant la notion de « personne âgée »” (Martine Lagacé; Joëlle Laplante et André Davignon, 2011 ). Comment, dans ce domaine, s’articule les différentes images que l’on a de la vieillesse ? Si la vieillesse était jusqu’alors principalement médiatisée sous l’angle de la fragilité, les spots publicitaires, les films ainsi que les magazines renvoient désormais aussi l’image d’individus actifs, de “seniors” débordants d’énergie, capables de croquer la vie à pleine dent.
De nombreuse études, sur la représentation du vieillissement dans les médias (publicités, magazines) soulignent l’aspect majoritairement négatif qui en est diffusée (Bradley and Longino, 2003 ; Vesperini, 2003 ; Vickers, 2007). Certains supports publicitaires pour des produits (souvent cosmétiques) présentent des modèles soient plus jeunes que l’âge qu’ils prétendent avoir soit rajeunis par les techniques de traitement de l’image. Et quand les plus de soixante ans sont représentés, c’est la plupart du temps, pour faire la promotion de campagnes de dépistage (la plus répandue étant la DMLA), de systèmes d’assistance (monte escalier, baignoire à porte …) ou encore d‘assurances obsèques… Dans ce cas, la vieillesse est utilisée pour faire la promotion des “bilans de santé”, de la perte d’autonomie, voir même de la fin de vie…
Néanmoins, nous pouvons tout de même constater que l’image des seniors dans les médias a quelque peu évoluée. En effet, certains traits physiques sont assumés et parfois même accentués pour être mit en valeur. Les cheveux poivre et sel ou encore les lunettes de vues, qui habituellement sont préférés camouflés (teintures, lentilles de contact …) sont dorénavant tendances pour les “ séniors” mais également pour les plus jeunes (ex: mode des cheveux gris, des lunettes … ).La vieillesse gagne également sa place dans l’univers de la mode, au delà des marques spécialisées, avec, entre autres, l’apparition de mannequins seniors dans les défilés haute couture.
Ces nouvelles représentations, la publicité les promeut à travers, notamment, le langage utilisé. Sont exclus les termes dont la connotation est négative, on parle de “seniors” plutôt que de “vieux”, on leur attribue l’image d’individus aisés, en pleine forme, heureux et sportifs. (Gérard Badou, 1989) . Il est vrai que l’on peut citer de nombreux exemples qui vont en ce sens. La publicité “Charal” ou le film récent “Sales Gosses” dont le titre est à lui seul évocateur, mettent en scène des retraités qui vivent le temps d’un séjour, en communauté, sous la surveillance de jeunes adultes. Ils se révèlent “turbulents” et débordants d’énergie, ils sont comparés à des adolescents qui donnent du fil à retordre à leurs encadrants qui doivent les canaliser. Les rôles sont inversés, les plus jeunes occupent la figure de l’autorité avec des répliques qui donnent à sourire “vous n’avez pas le droit de sortir la nuit, je vais devoir appeler vos familles” (Charal); “tout le monde se lave les dents et au lit j’ai dis” (Sales Gosses). Dans un autre registre, le film “adopte un veuf” de François Desagnat, lui met l’accent autour de la cohabitation intergénérationnelle dont les vertues sont plus que positives, non seulement elle permet de rompre l’isolement d’un retraité devenu veuf et en atténue son chagrin, tout en lui permettant de retrouver une part d’épanouissement à travers des festivités qui sont normalement attribuées à la jeunesse (alcool, bars, boîte de nuit etc.).
Ces quelques exemples permettent de constater que la vieillesse “épanouie” semble se caractériser par une sorte de “rajeunissement”. Autrement dit, les publicités ou les films précédemment cités affichent des individus heureux parce qu’ils adoptent des comportements et des attitudes relatifs à la jeunesse. N’est-ce pas là en fin de compte une forme d’âgisme ? Faut-il comprendre que des activités moins juvéniles ne permettent pas d’atteindre cet épanouissement ? Sans aller jusque là, nous pouvons simplement faire le constat qu’il existe semblerait-il un contraste relativement important entre les deux visions prédominantes de la vieillesse.
En effet, ces retraités, (cf.ci-dessus) présentés sous leur meilleur jour ne correspondent pas à la réalité de tous. Beaucoup n’ont pas les moyens économiques, physiques ou social de vieillir aussi aisément. Ainsi, les médias participent à la croyance que nous sommes tous en capacité de “bien vieillir” et participent au renforcement des inégalités sociales. Cécile Collinet et Matthieu Delalandre expliquent que la notion de “bien-être” entendu au sens “épanouissement”, qui comme vu précédemment est relativement emprunté par les médias, “impose des normes et des pratiques et contribue à occulter les différences individuelles et sociales”.
Le retraité actif bénéficie de la figure de l’adolescent et dans le cas inverse, la personne âgée dépendante est quant à elle infantilisée. Comme ce serait le cas pour un enfant, celle-ci est de santé fragile, a besoin d’un espace adapté et de l’assistance d’une personne adulte pour l’aider à accomplir ses tâches quotidiennes. Dans les deux cas, l’image renvoyée de l’individu âgé n’est pas celle d’une personne “adulte”…
Comme nous venons de l’observer, les représentations de la vieillesse sont multiples. Néanmoins, aucune d’entre elles ne peut prétendre être neutre ou refléter LES réalités de ce qu’est être âgé aujourd’hui. Aussi, nous nous devons d’être vigilants et veiller à ne pas occulter les différences sociales et les diverses réalités que peuvent vivre les personnes si nous souhaitons offrir à tous la possibilité de vivre son vieillissement de manière épanouie au sens entendu par chacun.
Références :
Badou, Gérard (1989) Les nouveaux vieux, Belfond, le pré aux Clercs.
Binstock, R. H., & Post, S. G. (1991). Too old for health care? In Controversies in medicine, law, economics, and ethics.
Bourdieu,Pierre (1978), “La jeunesse n’est qu’un mot”, in Question de sociologie , Paris, Ed. de minuit, 1984
Caradec,Vincent (2009) « L’expérience sociale du vieillissement », Idées économiques et sociales 2009/3 (N° 157), p. 38-45.
Collinet, Cécile; DElalandre, Matthieu (2014) “L’injonction au bien-être dans les programmes de prévention du vieillissement”, l’Année sociologique 2014/2 (Vol. 64), P.445-467.
Foucart, Jean (2003) « La vieillesse : une construction sociale », Pensée plurielle 2003/2 (no 6), p. 7-18.
Guillemard, Anne-Marie (1986). Le déclin du social. Vol. 51. Paris: Presse Universitaires de France.
Hudson, R. B., & Gonyea, J. G. (2012). “Baby boomers and the shifting political construction of old age.” The Gerontologist. https://doi.org/10.1093/geront/gnr129
Lagacé Martine, Laplante Joëlle et Davignon André (2011), « Construction sociale du vieillir dans les médias écrits canadiens : de la lourdeur de la vulnérabilité à l’insoutenable légèreté de l’être », Communication et organisation, 40 | 2011, 87-102.
Townsend, Peter. (1981). « The structured dependency of the elderly : a creation of social policy in the twentieth century ». Ageing and society 1 (1): 5‑28.
Walker, Alan (2015). « Vieillissement actif, citoyenneté et inclusion ». In Droit de vieillir et citoyenneté des ainés, 245‑67. Problèmes sociaux et interventions sociales. Presses de l’Université du Québec
Shani GALAND – Doctorante en sociologie au laboratoire CENS – chargée de mission I-CARE pour l’Union Régionale des centres sociaux des Pays de la Loire.
Juliette Michel – Doctorante en géographie au laboratoire ESO – chargée de mission I-CARE pour l’Union Régionale des centres sociaux des Pays de la Loire