Le 11 novembre dernier nous sommes allées assister à la Journée annuelle du réseaux francophone “Villes Amies des Aînés” (RFVAA). Ce réseau promeut la démarche “Villes Amies des Aînés” au niveau francophone.
“Ville Amies des Aînées” est une démarche mise en place par l’organisation mondiale de la santé (OMS) depuis une dizaine d’années. Elle est issue de 2 constats:
- Les 2 tendances lourdes du 21ème siècle sont le vieillissement démographique, avec l’allongement sans précédent de l’espérance de vie, et l’urbanisation, avec plus de la moitiée de la population mondiale vivant dans des villes.
- Les personnes âgées constituent une ressource pour leur famille, leur communauté et l’économie, lorsqu’elles vivent dans un cadre porteur et favorable.
Dans les approches du vieillissement promu par l’OMS, “vieillir en restant actif”, l’avancée en âge est conçue comme un processus qui s’inscrit plus largement dans les trajectoires de vie des personnes. Comme tel, il est nécessairement influencé par de nombreux facteurs, isolés ou associés, favorisant la bonne santé. L’approche de la santé pour l’OMS, s’inscrit dans une approche de santé globale, c’est à dire que l’on ne se limite pas à l’absence de la maladie pour caractériser l’état de santé, on se réfère à un état de “bien-être” dans : son corps, son environnement et la société.
Concrètement, une ville amie des aînés est censée adapter ses structures et ses services afin que les personnes âgées aux capacités et aux besoins divers puissent y accéder et avoir leur place. Comme l’explique le “guide mondial de “Villes amies des aînés” Pour comprendre ce qui caractérise une ville accueillante pour les aînés, il est indispensable de remonter à la source, à savoir les citadins âgés eux-mêmes. C’est pourquoi les démarches villes amies des aînées, puisqu’il ne s’agit pas d’une labellisation mais bien de la mise en place d’une dynamique sur la ville, encourage la consultation et la participation des habitants et les partenariats entre les différents acteurs du territoire. Aujourd’hui le RFVAA regroupe 79 membres dont 5 en Pays de la Loire : Laval, Angers, Nantes, Chemille-Melay et Saumur.
Parmis les nombreuses interventions au programme ce jour-là, une a particulièrement retenue notre attention et va faire l’objet de notre “zoom” ce mois ci. En effet, l’intervention de Bernadette Puijalon, anthropologue, portait, comme le reste de la journée, sur la notion d’intergénérationnel. Mme Puijalon n’est pas une inconnue du réseaux des centres sociaux puisqu’elle avait fait l’intervention d’ouverture du colloque « Développement Social Local, enjeux de prévention et de solidarité entre les âges sur les territoires », organisé par la FCSF en 2015 (voir intervention ICI).
Avant d’aller plus loin dans notre réflexion sur l’intergénérationnel, il s’agit de comprendre ce qu’est une génération. En début de son intervention Mme Puijalon a rappelé qu’il n’existe pas de définition unique d’une génération, mais une infinité, dépendant de la discipline, du contexte etc. Par exemple l’ethnologie prend la génération comme un degré de descendance dans la famille. L’appartenance à une génération se base donc sur la hiérarchie familiale et l’on appartient à une génération de mère à des âges très différents. Si on prend une discipline complètement différente, comme la météorologie, les mesures dites “ générationnelles” se basent sur une durée de 30 ans. Enfin, en histoire, on qualifie de génération une cohorte partageant des repères historiques et identitaires. Ces repères sont générateurs de valeurs propres supposant la création d’une identité collective de chaque génération (ex: les baby boomers). Cette identité propre à chaque générations générerait de la concurrence aussi bien que de la solidarité, de l’appropriation ou du rejet … en tout cas, ceci souligne qu’il n’y a pas d’harmonie spontanée entre les générations.
Pour reprendre l’expression de Vincent Caradec : l’âge est une coordonnée sociale. En tant que telle elle renvoie à plusieures réalités, de la même manière qu’une coordonnée géographique renvoie à la latitude et à la longitude. Ici, il s’agit d’une part d’un moment dans le parcours de vie (formation, retraite etc.), et d’autre part l’appartenance à une génération au sens historique : avoir 20 ans aujourd’hui n’est pas la même chose que d’avoir le même âge il y a un siècle.
Ainsi nous constatons, et Gilles Séraphin l’évoque parfaitement dans son ouvrage intitulé “Lien intergénérationnel et transmissions” que l’expression de “lien intergénérationnel”, qui sous-entend l’utilisation du mot “génération(s)”, peut avoir un sens très différent selon l’objet étudié. En effet, il est possible de considérer les “générations familiales”; “les générations sociales” ou encore “les générations historiques”. Cependant l’auteur constate la mobilisation de deux autres “formes” de génération(s): les “générations statutaires” qui se caractérisent par la place et le rôle qui est attribué à un individu au sein de la famille (les parents, les grands-parents) et les “générations professionnelles” qui font références aux personnes “qui dans un cadre professionnel ont vécu un apprentissage initial et une expérience professionnelle communs”.
Un regard sur les générations pousserait donc à regarder ce qu’il y a de différents entre les groupes, alors qu’une considération sur l’âge perçue comme étape dans le parcours de vie, serait un regard sur ce qu’il y a en commun. Quand l’on considère 2 groupes comme générations différentes on est amené à s’intéresser à ce qui va les distinguer l’un de l’autre : les différences culturelles et la “destinée sociale”. C’est cette inégalité de la “destinée sociale” qui pousse certains auteurs, comme L.Chauvel, a craindre une “guerre des générations”. Dans son ouvrage “Destin de générations” Louis Chauvel souligne un déclassement des jeunes et des quadras par rapport aux baby boomer. Ce déclassement serait dû aux difficultés de plus en plus grandes des jeunes générations (chômage de masse, crise économique etc.) mais aussi à une crise des valeurs … Comme le soulignait B.Puijalon, les craintes de cette “guerre des générations” sont principalement du domaine économique : le poids des retraites mis en parallèle avec des images de retraitées nantis. Cette remarque montre également qu’il n’y a pas de lien entre la représentation que l’on se fait d’un âge et la manière de le “traiter”. La représentation que l’on a des plus de 60 ans aujourd’hui, actifs, dynamiques et en bonne santé, ne correspond pas aux dispositifs mis en place, préventions de santé, dispositif de tutelle etc…
La société à tendance à catégoriser les individus par leurs ressemblances, ceci participerait à la construction et au maintien des stéréotypes. L’intergénérationnel ou plutôt les liens intergénérationnels permettraient alors d’éviter le risque de rupture de “cohésion sociale”. Le risque est encore plus important quand on sait que, pour la première fois, on compte trois voire quatre générations au sein d’une même famille et que certaine peuvent se sentir dépasser par les événements (la rupture numérique avec l’apparition des nouvelles technologies par exemple). Comme l’explique Claudine Attias-Donfut “Les générations qui composent la société appartiennent à des époques et des temps sociaux différents”, ce qui est susceptible de provoquer des inégalités entre les générations, à la fois par leur différence d’âge mais aussi par leur cohorte d’appartenance. Ce nouveau phénomène suppose une adaptation et une “réorganisation” de la société, afin de répondre aux besoins et aux attentes de chacun. Comme l’explique la secrétaire générale d’AGE plateforme Europe, « L’environnement doit-être l’ami de tous les âges ».
C’est dans ce cadre que ville amie des aînés et des dispositifs tels que “la loi d’adaptation de la société au vieillissement” tentent d’intervenir. Il est vrai qu’une attention toute particulière est accordée aux aînés car les risques que suppose le vieillissement fait de ce public une population potentiellement “vulnérable”. Or, nous assistons aujourd’hui, à un basculement des regards à l’égard de cette population, qu’il ne s’agit non plus de penser à travers ses difficultés mais par ses ressources et ses potentialités. La “personne âgée” est reconnue socialement et économiquement.
Les actions intergénérationnelle semblent se décliner autour de 4 objectifs :
- se faire rencontrer les différentes « générations”
- faire ensemble : se mobiliser autour d’actions utiles
- faire l’un pour l’autre et, de fait combattre la stigmatisation
- transmettre dans des logiques d’échanges horizontaux.
Cela illustre aussi ce que B.Puijalon rappelait avec insistance: “l’intergénérationnel ce n’est pas un enfant – une mamie”. Même si ce constat semble faire consensus au premier abord on remarque très vite que, dans les faits, ce sont principalement des actions mettant en relation “Jeunes” et “vieux” que l’on retrouve sous les intitulés “intergénérationnel”. Cela nous pose 2 grandes questions.
Quand on se propose de rapprocher “jeunes” et “vieux”, afin de créer du « lien social », qui sont ces “jeunes” et ces “vieux” ? Les réponses sont extrêmement diverses : les jeunes peuvent être des nourrissons, des enfants, des adolescents, de jeunes adultes …; quant aux vieux, il peut tout aussi bien s’agir de « jeunes retraités » susceptibles de s’engager dans des actions bénévoles, que de personnes vivant en maison de retraite. Non seulement les générations “jeunes” et “vieux” sont larges et recouvrent des réalités sociales différentes mais elles sont aussi constituées de “sous-générations”. Est ce qu’une action regroupant des CM2 et des terminales dans un projet tutoré n’est pas de l’intergénérationnel? De la même manière, est-ce qu’être “jeune retraité(e)” et bénévole dans un dispositif de visite type Monalisa auprès de personnes plus âgées, n’est-ce pas de fait de l’intergénérationnel ?
De plus, les considérations autour des actions intergénérationnelles viennent poser une autre question : celle des “générations manquantes”. Quand est-il de l’action intergénérationnelle pour les personnes entre 25 et 55 ans ? Pourquoi est-ce que ces générations ne sont pas explicitement prises en compte ? V.Caradec avance l’hypothèse d’une similitude entre “jeunes” et “vieux” qui expliquerait leur prévalence dans ce type d’action (marché du travail, chômage etc). De plus ce sont deux âges où il y a un rapport particulier à l’autonomie de l’individu. Peut être est ce pour cela que l’on se concentrerait plus sur ces 2 générations dans la mise en place d’action spécifique, en partant du principe, inconscient, que la personne adultes est à même de nouer de relations intergénérationnelles si elle en a envie.
Enfin, considérer les relations intergénérationnelles uniquement sous le prisme des relations “jeunes”/”vieux” revient également à oublier que les générations ne sont pas séparées dans la vie de tous les jours. Des relations intergénérationnelles existent entre collègues, amis ou connaissances … de même, qu’un atelier couture avec des personnes de 20 à 70 ans peut participer à favoriser cet élan de liens intergénérationnels ? Ces questionnements permettent d’interroger la pratique des centres sociaux. Quelle forme prend l’intergénérationnel dans les centres sociaux ? Car si des activités sont construites précisément dans l’idée de favoriser le lien intergénérationnel quand est-il justement des activités telle que la couture? Activité durant laquelle sont susceptibles de se rencontrer plusieures générations …
De plus, comment sont construites et pensées ces activités intergénérationnelles ? Car dans les propos des acteurs présents à la journée “villes amies des aînés”, nous notons que l’intergénérationnel n’est pas uniquement pensée à travers un apport que pourrait apporter les plus jeunes aux plus âgés, l’intergénérationnel est envisagé dans un rapport de réciprocité.
C’est aussi et surtout une vision de l’intergénérationnel ou de la “personne âgée” comme ressource, basée sur des potentialités individuelles. C’est d’ailleurs dans cette perspective que les centres sociaux semblent fonder leurs actions de façon générales et plus particulièrement les actions intergénérationnelles. Cependant, dans les faits est-ce vraiment le cas ? N’y a t-il pas d’autres manières d’appréhender la question de l’intergénérationnel dans les centres sociaux ?
Car si nous reprenons les différentes manières d’appréhender la notion de “génération”, nous comprenons que l’intergénérationnel peut-être envisagé de différentes manières que par un critère d’âge. Est-ce un point que les centres sociaux et socioculturels prennent en compte ? Existe t-il des activités qui se préoccupent des générations en fonction de leur raison statutaire ? De leur génération professionnelle ? Des événements qu’elles ont pu traverser ensemble à des âges pourtant différents ? De cette façon, il pourrait très bien, y avoir du lien intergénérationnel au sein d’une activité destinée aux “seniors”.
Au sein d’une structure centre social, on pourrait également voir du lien intergénérationnel entre un bénévole et un salarié ou un adhérent et un salarié ou encore un bénévole et un adhérent. Car c’est également dans des plus moments informels que peuvent se construire ces liens intergénérationnels …
Shani GALAND & Juliette MICHEL
Reférences
http://www.villesamiesdesaines-rf.fr/
http://www.who.int/topics/ageing/fr/
Attias-Donfut, Claudine. “La notion de génération : Usages sociaux et concept sociologique.” L’Homme et la société 90, no. 4 (1988): 36–50. doi:10.3406/homso.1988.2365.
Caradec, Vincent. “« Jeunes » et « vieux » : les relations intergénérationnelles en question.” Agora débats/jeunesses, no. 49 (November 1, 2012): 20–29.
Chauvel, Louis. “Le destin des générations.”
LOI n° 2015-1776 du 28 décembre 2015 relative à l’adaptation de la société au vieillissement, 2015-1776 § (2015).
Séraphin, Gilles. “Introduction : Lien intergénérationnel et transmissions.” Recherches familiales, no. 8 (April 4, 2011): 3–6.