Retour sur les immersions Juin 2016 – J.MICHEL

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Qu’est-ce qu’est un centre social ? Ce n’est pas simple de trouver une réponse convenable à cette question, surtout quand on est, comme moi une néophyte dans ce milieu. Jusqu’à un passé très proche, un « centre social » m’évoquait plus un CCAS qu’une maison de quartier.

Si on se rapporte à la définition de la caf, un centre social « un équipement à vocation familiale et sociale qui accueille toutes les générations. Véritable maison ouverte sur un quartier ou un village, il est un carrefour d’animation de la vie locale et d’interventions sociales collectives et novatrices ».  Alors que pour la Fédération nationale des centres sociaux (FCSF), « Le Centre social et socio-culturel entend être un foyer d’initiatives porté par des habitants associés appuyés par des professionnels, capables de définir et de mettre en œuvre un projet de développement social pour l’ensemble de la population d’un territoire.” La CAF insiste sur une notion d’équipement, assez proche du service, alors que celle de FCSF insiste sur la dimension de co-construction de la démarche entre les habitants et des salariés qui n’est pas du tout présente dans la définition de la CAF. La définition de la CAF donne également une indication « précise » (quoique) sur un périmètre de l’action sur un quartier ou un village alors que la FCSF opte pour la notion de territoire, beaucoup plus floue. Si on rajoute à cela d’autres informations comme la multiplicité des modes de gestion, la variété des partenaires possible, la différence de taille de territoire d’agrément, de quelque rue à une intercommunalité de plus d’une dizaine de communes…. Le centre social devient un concept vraiment obscur.

C’est pourquoi il nous a semblé essentiel, à indispensable, d’aller voir afin de se rendre compte de ce qu’est un centre social dans son fonctionnement quotidien : des actions et/ou activités proposées, l’accueil des habitants, des réunions d’équipes, des conseils ou comités etc., bref des moments de vie d’un centre. Pour essayer d’avoir un aperçu le plus complet possible de ce que peut être un centre dans les délais assez courts que nous avions (3 semaines à un mois), nous avons sélectionnée quelques critères afin de faire un choix raisonné entre les structures à observer (taille du territoire d’intervention, urbain / rural, population etc.). Suite à quoi nous avons été accueillies dans 3 structures chacune. Je suis donc allée visiter un centre social associatif de quartier en centre-ville, un centre social plus rural sur une ancienne intercommunalité (aujourd’hui commune nouvelle) également en gestion associative et un centre social en gestion municipale sur une commune périurbaine.

Ces observations nous ont beaucoup appris sur ce qu’est un centre social et parmi les aspects les plus marquants que j’ai relevé je développerai ici l’appropriation territoriale, le travail associé et enfin la question des seniors.

La relation au territoire, relation à l’espace  

Le centre social se pense comme inscrit dans la proximité. Cette proximité doit se construire avec les habitants mais aussi dans son inscription territoriale. La proximité sur un territoire se construit dans le temps et dans les relations sociales. Un équipement peut-être spatialement proche et ne pas être compris dans une proximité de fait par les habitants. La proximité s’exprime dans un espace approprié par une population. Dans notre cas, où les territoires donnés, définis a priori par l’agrément CAF sont de tailles très différentes, l’appropriation semble jouer un rôle important dans la fréquentation des centres. Les Trois centres visités présentent des caractéristiques et des problématiques particulières. Il est intéressant de noter que ces questions se reflètent également dans l’organisation des locaux.

Centre de centre-ville : comment s’inscrire dans la proximité ?

Le premier est une structure de centre-ville ce qui l’inscrit dans un rapport particulier de la population au territoire. Un centre-ville est un lieu de vie sans être nécessairement un espace d’habitation pour la plupart de la population, comme par exemple pour les lycéens et collégiens. C’est aussi un espace où la proximité sociale est moins évidente, contrairement à des quartiers plus résidentiels, ce qui donne une certaine forme d’anonymat. Cette relation particulière au territoire se retrouve dans la relation au centre.

Par les échanges avec les salariés et les usagers on remarque que cette forme d’anonymat est appréciée. C’est le moyen d’avoir accès à un départ à blanc par rapport à des relations de quartier, rumeurs ou juste dans une envie de découvrir d’autres choses. Mais c’est également une source de difficultés dans le travail avec les habitants. On tombe ici dans le paradoxe « ce qui appartient à tout le monde n’appartient à personne ». En effet on est ici sur un territoire qui est approprié par des populations et des pratiques qui lui sont extérieures ce qui rend difficile une appropriation par des populations et des pratiques intérieures. Ce centre n’est pas, ou peu, perçu par la population résidente comme un équipement de proximité ce qui pose des difficultés dans la construction de démarche de « quartier » en partenariat avec les habitants.

Cette « sur-appropriation » se retranscrit dans les locaux de la structure. En effet cet ancien centre de loisirs possède des équipements très marqués pour certaines activités (danse, ludothèque, théâtre …). Néanmoins en discutant avec les bénévoles et les salariés on se rend compte qu’il y a un manque d’une salle neutre. S’il est très appréciable d’avoir des salles très bien équipées pour l’accueille des activités, une salle neutre permet de se mettre dans une situation différente. De plus des locaux neutres sont une autre forme d’invitation à l’appropriation de la structure par les habitants.

Territoire intercommunal : comment être proche partout ?

Le deuxième centre a un territoire qui recouvrait une intercommunalité, puis une commune nouvelle depuis janvier 2016. Comment construire une proximité sur un périmètre d’une dizaine de communes ? De manière générale on peut supposer 2 fonctionnements possibles sur ce genre de territoire : une concentration des activités sur un lieu, une commune « centrale » ou un fonctionnement en réseaux avec des activités dispersées sur le périmètre. Ce centre-là a opté pour la seconde possibilité. En effet de nombreuses activités se déplacent sur le territoire, de communes en communes à des fréquences différentes : certaines activités peuvent être bi hebdomadaire sur une commune et mensuelle sur une autre. D’autres activités, comme l’espace jeune, se déclinent sur le territoire, chaque commune, ou presque, ayant un espace jeune animé par les professionnels du centre.

On voit bien ici que pour être une structure appropriée sur un territoire aussi vaste, le centre fait face à des problématiques de proximité spatiale plus que sociale comme c’était le cas pour la première structure. En termes de locaux, cela pose un autre problème : comment être partout ? Les différentes communes de l’ancienne intercommunalité mettent des locaux à disposition du centre, mais ce sont, pour le coup, des locaux beaucoup trop neutres, qui ne sont pas pensés pour des activités particulières et ne sont pas consacrés aux activités du centre. Ce qui veut dire que les équipements nécessaires doivent être déplacés à chaque fois. Le poids de la manutention semble être une charge pour tout les types d’activité : ça prend du temps et cela requiert la présence d’un salarié du centre, ne serait-ce que pour ouvrir et fermer les salles. En plus d’être une question logistique, cela limite l’autonomie des initiatives des habitants.

Centre social municipal : s’identifier au-delà des perceptions

Enfin, le troisième centre pose une autre question de relation à un territoire : celui de la reconnaissance de la structure sur le territoire. Le centre en question est un équipement municipal qui s’organise principalement autour de deux pôles : le centre lui-même, en centre-bourg et une antenne en quartier. Il est compliqué de construire une identité commune entre l’antenne et le bâtiment principal du centre qui est peu identifié comme un équipement de proximité à approprier.

Une identification qui n’est facilitée par le fait que le centre partage ses locaux avec le CCAS et le service logement de la mairie. Le centre est plus perçu comme un espace d’aide individuelle. Au contraire, l’antenne est très appropriée et identifiée sur le quartier comme un lieu de proximité. Elle partage les locaux avec une association de quartier, antérieure à la création du centre. C’est aussi ce qui explique cette différence de perception entre les différents espaces de la même structure. Il faut du temps pour construire une proximité avec les habitants, faire partie du paysage. En s’appuyant sur des structures de quartier existantes, le centre social doit faire face à la force des habitudes de chacun pour se construire une identité commune.

Ici c’est l’identité des locaux qui semble jouer un rôle dans les degrés d’appropriation de chacun des espaces avec d’un côté un local identifié comme associatif, accessible, et de l’autre un local perçu comme un service municipal, plus difficilement appropriable. De plus il existe aussi un problème dans la perception des distances entre les différents espaces du centre social. En effet, dans les conversations entre usagers, on note régulièrement qu’il est fait référence au centre depuis l’antenne, comme « là-bas » ou « c’est loin quand même » alors même que la distance objective entre les deux n’est pas longue. C’est plus ou moins la même rue, à 2 arrêts de bus de distance, mais il s’agit de changer de quartier, de s’éloigner de l’espace approprié qui rend la distance perçue comme longue…

Tout ça montre qu’il est difficile d’exister comme centre social de fait, juste par son agrément. Pour fonctionner comme tel il est nécessaire de construire une proximité avec les habitants qui dépasse les distances spatiales.

Le travail associé

Le deuxième point que je voulais aborder, de manière beaucoup plus rapide, et la question du travail associé. Le centre social est un espace de construction de démarches par les habitants, pour les habitants ce qui induit nécessairement un travail entre des habitants bénévoles et des professionnels ainsi qu’un recueil de la parole des habitants. Il est difficile de se figurer ce à quoi cela peut ressembler avant d’être allé voir. J’ai eu la chance de pouvoir assister à différents temps d’échanges dans les différentes structures m’ayant accueillie : comités, assemblées générales, activités animées par des professionnels ou des bénévoles.

Ce temps d’immersion m’a permis de saisir la place du professionnel, et plus largement du centre, dans cette démarche, entre l’animation d’un groupe et l’accompagnement vers l’autonomie. Il ne s’agit donc pas d’une proposition de service mais la proposition d’un espace et d’un moment particuliers pour se rencontrer et faire des choses ensemble.

En ce qui concerne le recueil de la parole des habitants le professionnel se met dans une position d’écoute : il ne s’agit pas de prendre une posture de demande trop directe de la situation mais bien de recueillir une parole au cours d’une conversation informelle ce qui place le professionnel dans une position « amicale » tout en restant extérieure. Le but est de proposer des activités, des actions pouvant être prise en main par les bénévoles habitants, encourager l’initiative en mettant à disposition des moyens et une certaine ingénierie.

Le travail associé peut aussi s’étendre au travail avec les collectivités locales. Ce qui est ressortie de ces immersions est la difficulté qu’il peut y avoir de combiner des démarches en partenariat avec des collectivités locales. En effet les logiques semblent aller en sens inverse. Les collectivités (municipalité, intercommunalité etc.) ont des démarches « top-down » soit de l’institution vers le territoire et ses habitants alors que les centres sociaux se pensent dans des logiques « bottom-up », de l’habitant vers la communauté. Il sera intéressant de s’intéresser aussi à ses mécanismes durant la recherche, particulièrement dans le cas de centres sociaux en gestion municipale.

La question des séniors

Enfin, c’est la question des seniors que je vais aborder. L’écriture du projet I-CARE repose sur le constat de la forte présence des populations « séniors » dans les centres, constat que nous avons pu faire nous-même au cours des immersions. Les trois centres visités ont des profils différents en matière d’action pour et/ou par les séniors.

On voit apparaitre différents types d’action pour les séniors : les sorties étiquetées « séniors », les actions par ou pour les séniors et les actions qui présentent une majorité de participants séniors. Bien que je n’ai pas participé à une sortie, d’après ce que l’on m’en a rapporté il semble que ce soit des occasions de sortir un peu de son environnement quotidien, ainsi que des moments de socialisation ce qui n’est pas toujours évident à avoir dans le cadre d’une retraite un peu isolée (pas de voiture, etc.).

Pour les actions pour les séniors, il n’est pas toujours évident de les discerner des autres.  Les noms ou les contenus des activités ne permettent pas nécessairement de discerner des activités séniors d’activités intergénérationnelles par exemple. Cela semble traduire une volonté de ne pas proposer des activités spécialisées (ce qui peut sembler comme allant à l’encontre de la vocation d’animation globale d’un centre social), mais également de susciter une certaine mixité d’âge et de population dans les activités. Un indicateur possible du type de public visé est l’horaire de l’activité en question. En effet une activité le vendredi de 14h à 16h est surement plus orientée vers les séniors qu’une activité le mercredi de 17 à 19h. On remarque aussi la difficulté d’avoir une action transversale tout en segmentant les publics (petite enfance, jeunesse, adultes, seniors).

J’ai également noté que lorsque les activités sont animées par des bénévoles (ce qui fut majoritairement le cas pour les activités seniors) il s’agit d’un bénévole lui-même senior. De manière générale, la plupart des bénévoles rencontrés sont des séniors, un aspect qu’il faudra enquêter pour la suite de l’étude : quel est le rôle des seniors dans l’animation bénévole ? Qu’est ce qui peut l’expliquer ? Cette animation senior vers seniors est-elle systématique ? De plus il s’agissait de bénévoles féminines. Un constat de genre que l’on retrouve aussi dans le public des activités, majoritairement féminin. Est-ce que le genre de la population est induit par les types d’activité (de la couture à l’informatique) ou est-ce que les femmes séniors sont plus engagées dans la structure centre social que les hommes au même âge ? Pourquoi ?

Enfin, un aspect qui m’avait échappé lors de mes premières approches de la question est la question de la grand-parentalité. Par les échanges avec les personnes rencontrées, on se rend compte de l’importance de cet aspect dans l’implication d’une personne senior dans la structure centre social. Cela peut d’abord être un vecteur, une porte d’entrée au centre par l’activité d’un petit enfant. C’est également un facteur de l’organisation des temps d’activité : une activité animée par un bénévole senior peu s’interrompre quelque temps pendant la visite de ses petits-enfants, des sorties séniors pendant les vacances scolaires proposant un programme pouvant également plaire à des enfants etc.

Cette phase d’immersion a donc été l’occasion de réaliser ce qu’est un centre social dans sa réalité. Elle aura permis d’orienter la réflexion vers de nouveaux aspects comme les territoires vécus/perçus, la grand-parentalité ou encore la question du genre, même s’il reste difficile de répondre simplement à la question « qu’est-ce qu’un centre social ? »


 

Juliette MICHEL –
Chargée de l’étude I-CARE pour l’Union Régionale des centres sociaux des Pays de la Loire
Doctorante en Géographie au laboratoire Espaces et Sociétés.

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