Le présent article vise à donner à lire aux différents acteurs des centres sociaux (et autres personnes qui se trouveraient intéressées par la recherche), un compte rendu des phases d’immersion effectuées par chacune des chercheuses. Il ne s’agit pas ici, de restituer d’ores et déjà de premiers résultats, mais bien de mettre à la disposition de tous les ressentis, les interrogations et les constats qu’a pu susciter cette période de découverte. Pour rappel, cette phase d’immersion avait pour mission de faire découvrir aux doctorantes, ce qu’est, dans la réalité (et non plus à travers des écrits et/ou propos) l’activité quotidienne d’un centre social.
Une étape que l’ensemble de l’équipe I-CARE a jugé essentielle pour le bon déroulement de la suite des
événements. Afin d’élargir notre regard et notre perception du phénomène, cette phase exploratoire ne s’est pas uniquement concentrée sur les activités en lien avec le public âgé. L’idée étant de nous « immerger » le plus possible, nous avons souhaité assister aux divers événements (activités internes/externes, commissions, réunions etc.) et autres temps d’interactions (passages, appels, visite etc.) visibles au sein d’un centre. Cependant de façon à appréhender au mieux la réalité quotidienne des centres sociaux et de ne pas en transformer la réalité, nous avons prit en compte, dans cette immersion, les moments plus «calmes», puisqu’ils font aussi partie intégrante du rythme et du fonctionnement interne de l’institution.
Pour mener à bien cette phase d’immersion, nous avons chacune été accueillies par trois centres sociaux différents, dans lesquels nous avons principalement adopté une posture observatrice plutôt que participante. Ces centres sociaux ont été sélectionnés d’après certains critères comme leur situation géographique (département), le type de ce territoire (rural, urbain etc.) ou encore leur mode de gestion (associatif, communal etc.).
A travers la typologie que nous allons réaliser prochainement, nous souhaitons obtenir un échantillon représentatif des centres sociaux présents sur le territoire des Pays de la Loire. Afin d’y parvenir au mieux, nous utiliserons et analyserons plusieurs de leurs caractéristiques. C’est pourquoi, afin d’en avoir un premier aperçu, nous avons fait le choix de diversifier les centres explorés dans la phase d’immersion.
En ce qui me concerne, j’ai été accueillie dans un centre de Loire‐Atlantique; dans un centre de Vendée et dans un centre du Maine et Loire. Deux d’entre eux sont des centres sociaux à caractère rural, le troisième quant à lui est un centre social périurbain
Architecture et organisation révélatrices d’ identité
En tant que « profane », les premières choses que l’on remarque lorsque l’on se dirige dans un centre social pour la première fois c’est son mode d’accessibilité et ses caractéristiques architecturales.
Pour les trois centres socioculturels que j’ai pu observer (dont je ne citerai pas les noms), j’ai en effet pu constater quelques différences. Les centres de Vendée et de Loire Atlantique m’ont paru avoir de grands locaux comparés à celui visité dans le Maine et Loire. Bien que ces deux premiers aient un aspect quelque peu différent, ils disposent chacun d’un espace assez conséquent.
Distinction que l’on comprend mieux lorsque l’on sait que le centre social du Maine et Loire est un centre intercommunal et qu’il est amené à réaliser la plupart de ses activités à l’extérieur, dans les communes voisines. Ce centre social n’est pas « perçu » et utilisé comme lieu d’accueil par et pour ses habitants. Je dis bien « perçu » car bien qu’il ne puisse recevoir dans ses locaux un nombre important d’individus, il pourrait tout de même être un tant soit peu un lieu de rencontre. Or, le directeur m’explique que de part son emplacement, le centre social est difficilement repérable (situé en bord de route, entre deux garages). De plus, certaines communes, qui font pourtant parties du territoire d’action du centre, sont en réalité très excentrées de celui‐ci (20Km pour certaines). Par conséquent, les personnes ne se déplacent pas jusqu’à l’établissement. C’est alors à l’équipe du centre social de venir à leur rencontre.
Ainsi, en exagérant les traits bien évidemment, on pourrait presque appliquer la formule : « dites‐moi ce que vous mangez et je vous dirai qui vous êtes » à la structure centre social mais sous la forme « dites moi quelle est la taille de votre centre et je vous dirai quel est son mode et son territoire d’intervention». En effet, contrairement aux deux autres centres sociaux communaux observés, celui du Maine et Loire, dispose d’une seule et unique salle d’activité. Il ne peut, dans ces conditions, exercer l’ensemble de ses activités dans son bâtiment. Mais comme dit précédemment, même si c’était le cas, cela ne fonctionnerait pas puisqu’il est intercommunal. Il semblerait alors que le territoire d’intervention puisse modifier la manière de pratiquer d’un centre social.
Mais pas que … Ce point a notamment attiré mon attention sur les activités proposées. En fonction du mode de gestion de la structure, les activités semblent varier. Cependant les trois centres sociaux visités proposent des activités parfois similaires et d’autres qui, au contraire, sont un peu plus originales et trouvent naissance dans l’histoire et la trajectoire du centre social.
J’ai pu remarquer que le centre social intercommunal, ne proposait pas d’activité de type échanges de discussions ou activités autour d’un café, type : « café papote » ; « Repair café » etc. Cependant ce dernier, propose des activités mobiles grâce à une caravane qui se déplace dans chacune de ses communes et qui par son biais réalise des activités avec les habitants. Une mobilité parfois présente dans les centres de Vendée et de Loire Atlantique mais qui a leur grand regret demeure encore peu développée. En effet, la structure centre social agit et développe ses activités selon les ressources qui lui sont disponibles et les moyens humains, matériels et financiers qui lui sont offerts.
On peut ici s’interroger sur les retombées que peut avoir, dès lors, le mode de gestion sur la perception que les habitants se font du centre social mais aussi sur sa façon même de fonctionner. Pour en finir sur la dimension architecturale des centres sociaux explorés, je terminerai sur cet autre aspect : La disposition des salles.
Autrement dit le parcours que les individus sont amenés à effectuer au sein de la structure lorsqu’ils viennent faire usage d’un service. En effet, certaines activités nécessitent de passer par une salle intermédiaire avant d’y parvenir. (Choix parfois raisonné). Lors de ces passages, j’ai pu observer des interactions (tout acteurs confondus), qui sans ce circuit obligé n’auraient pu avoir lieux. Des résultats qui ont pu être pensés par avance par l’équipe du centre et d’autres qui se produisent de façon involontaire.
Derrière l’agencement d’un centre social, il peut y avoir une stratégie de captation du public. Le centre social de Vendée, a par exemple, peu avant mon arrivée réaménager ses locaux. Son espace a été repensé de façon à ce que se soit plus fonctionnel pour l’équipe mais aussi pour attirer l’attention sur un service à travers l’utilisation d’un autre service, en les plaçant à proximité l’un de l’autre. Ainsi, le simple aspect architectural d’un centre social peut en réalité nous apprendre bien plus de choses sur sa manière de fonctionner.
L’âge entre les âges au sein des activités:
Au cours de cette immersion, j’ai pu assister à toutes sortes d’activités. Comme dit précédemment, l’idée étant de voir la dynamique générale d’un centre social nous ne nous sommes pas uniquement attardée sur celles en direction des personnes âgées.
Ainsi j’ai pu participer aux activités pour enfants, jeunes et adultes. Cependant, je parlerai ici, de celles qui ont pu susciter ma curiosité par rapport à la population que nous étudions dans le cadre de la recherche.
J’ai vu des activités qui n’attirent que des personnes âgées avec souvent une distinction genrée assez importante. Je prendrai l’exemple des activités sportives comme la gym douce ou la gym d’entretien. Parmi les personnes présentes ce jours là et après confirmation de l’animatrice, ces activités n’attirent effectivement que des femmes et des femmes d’un certain âge. L’intitulé et le contenu de l’activité peuvent certainement expliquer ce constat. C’est pourquoi il semble intéressant de s’interroger sur la présentation des activités et sur la manière dont celle‐ci peut avoir une influence sur le public. Le centre social peut choisir de décrire l’une de ses activités, d’une certaine manière, de façon à attirer en priorité le public qu’il s’est fixé. Il peut aussi provoquer de l’intergénérationnel par des activités qui lui sont destinées.
Mais il y a celles qui indépendamment de cette volonté parviennent aussi à rassembler des individus aux âges différents et à créer de l’intergénérationnel. L’activité qui consiste à faire échanger entre eux, des individus qui ont rencontré dans leur parcours de vie des moments difficiles en est l’exemple, tout comme le café papote.
En effet, quand je parle là d’intergénérationnel, je ne parle pas nécessairement et uniquement de personnes très âgées qui échangeraient avec des individus bien plus jeunes qu’eux. Je parle aussi d’écarts d’âge moins importants mais qui sont générateurs de liens intergénérationnels également. Lors de cet atelier, ce fût le cas. Un adolescent a pu échanger avec différentes personnes, tous ses aînés, mais d’âges différents. Pour poursuivre, je pourrais dire également que j’ai vu de l’intergénérationnel au sein même d’une génération. En d’autres termes parmi les individus dits « âgés », il y a une ou plusieurs décennies qui les séparent.
J’ai pu observer que ces relations intergénérationnelles ne se développent pas uniquement entre adhérents. Les salariés en sont aussi au cœur. En effet, les équipes que j’ai pu rencontrer sont principalement composées d’individus relativement jeunes. Par conséquent lorsque ceux‐ci animent ou participent à une activité, ils sont amenés à échanger et donc à partager avec les individus présents. A travers des activités liées au jardinage ou tout simplement lors de café papote et de jeux de société.
Ceci, m’amène à évoquer la place des bénévoles qui font partis de la tranche d’âge que nous étudions et que j’ai pu rencontrer dans chacun de ces centres. Il y a les bénévoles d’activités comme pour l’aide aux devoirs, où ceux qui offrent une aide à la préparation d’un événement. Où j’ai pu assister et rencontrer des individus de 60 ans et plus. Mais il y a aussi les bénévoles de « gouvernance » qui sont élus président(e), vice président(e), trésorier(e) du centre et qui eux aussi étaient principalement des individus en retraite. Et il y a parmi ces individus ceux qui donnent de leur temps pour participer aux diverses commissions et CA, selon leurs centres d’intérêts. J’ai par exemple, assisté à une commission jeunesse, les principales personnes présentent étaient des femmes retraitées qui étaient à la fois administratrices du centre et bénévoles d’activités. D’ailleurs, il fût intéressant de constater que les personnes présentes à cette commission jeunesse n’étaient que des personnes de plus de 60 ans. La présidente du centre social, présente à cette commission est une ancienne institutrice, on peut alors comprendre d’où lui vient l’intérêt pour la jeunesse. Bien que se ne soit pas le seul ou le facteur explicatif.
C’est pourquoi la trajectoire individuelle de chacun peut nous aider à comprendre l’engagement bénévole et le sens qui le lui est donné. Les entretiens biographiques approfondis qui seront menés au cours de la recherche tenteront justement d’éclaircir ces points. Pourquoi être bénévole ? Pourquoi certaines personnes s’investissent plus que d’autres ? Etc.
Interroger le lien social:
L’autre aspect qui a suscité mon intérêt lors de cette phase d’immersion et auquel j’ai souhaité être attentive se sont les rapports entre les personnes, tout acteurs confondus.
J’ai pu faire un premier constat, qui est celui du tutoiement. Pour chacun des centres explorés, le tutoiement est bien présent. Que se soit entre salariés, bénévoles, salariés et bénévoles etc. Il semble être une pratique courante des centres sociaux. Cependant dans l’un des centres que j’ai pu visiter, s’ajoute à ce tutoiement, « la bise » lors de la salutation. Ce fût même mon cas lors de mon immersion dans ce centre et ce même avec des adhérents jamais rencontrés. Ce détail peut paraître futile or il peut‐être, un indicateur de coutumes et de pratiques dût à un ancrage territorial assez fort.
La directrice du centre en question, a grandi et vécue presque toute sa vie a sein de cette commune. Par conséquent, elle a été amenée à côtoyer les établissements scolaires, les commerces ou toutes autres structures avec lesquelles elle travaille dans le cadre de son activité professionnelle. Cette dimension peut modifier les rapports qu’entretiennent les individus avec leur environnement.
J’ai par exemple, su par l’intermédiaire de discussions informelles que le président du centre est une personne qu’elle côtoie depuis longtemps, tout comme l’une des salariées avec qui elle travaille. Tout comme certains partenariats semblent fonctionner par réseau d’interconnaissance. C’est peut‐être le cas dans les établissements urbains, or je n’ai pas eu l’opportunité de le vérifier.
Ce cas de figure peut être intéressant à prendre en compte car il permet de déceler des différences entre territoire rural et territoire urbain. Et permet alors d’interroger l’activité et les rapports entre individus d’un centre en fonction de son territoire d’insertion. De cette façon nous pouvons également nous questionner sur les retombées que cela peut avoir sur le public âgé d’un centre. D’ores et déjà, nous supposons que les problématiques auxquelles sont confrontés les individus peuvent varier d’un territoire à un autre.
En observant certaines activités j’ai assisté à des moments d’interactions qui révèlent la présence de liens forts entre les individus. Certains propos peuvent également en attester. Lors d’une activité jardinage l’un des bénévole explique que bien que les caractères de chacun soient parfois compliqués à gérer c’est pourtant « comme la famille ».
Durant une activité scrabble, les femmes présentes ont exprimées leur joie de se retrouver. Les échanges se sont déroulés dans une ambiance conviviale et amicale. J’ai également assisté à une scène ou deux
femmes se déclaraient leur amitié. Dès lors, nous pouvons nous interroger sur ces liens entre individus. Les centres sociaux se décrivent comme des structures qui permettent de favoriser la création de liens sociaux. Mais jusqu’à quel point ?
En effet, nous pouvons nous interroger sur la pérennité de ces liens. Autrement dit, perdurent‐ils au delà des murs de la structure ? Quelle forme prennent‐ils ? Et de quelle nature sont‐ils ? Entre personnes du même sexe ? Du même âge ? Etc.
Cette phase d’immersion, a donc été l’occasion de découvrir, de comprendre et d’interroger nos réflexions. Elle nous aura permis de mieux appréhender le terrain auquel nous serons confrontées prochainement.
Shani GALAND –
Chargée de l’étude I-‐CARE pour l’Union Régionale des centres sociaux des Pays de la Loire
Doctorante en Sociologie Université de Nantes.